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Ecrit de Pier-Mayer Dantec

Le Cabaret du Bleu Silence
Poème théâtral

(texte déposé)


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Présentation du Cabaret du Bleu Silence

Pier Mayer Dantec : le Cabaret du Bleu Silence - Le clochard Célexte

Le genèse

Cette pièce poétique ou ce poème théâtral ponctué de mimes trouve sa source apparente dans une pièce jouée une unique fois, à la suite d’un atelier de théâtre. La frustration de cet éphémère me porta à écrire un poème qui voulait raconter la pièce, de manière si imagée que l’auditeur se ferait spectateur devant le rideau du songe. Donner à voir avec des mots, à voir tout autant qu’à sentir, à frôler avec des mots d’hommes, sur un fond de plaisir mélancolique et lascif, des sentiments exacerbés, de ceux que l’on cache d’ordinaire, surtout en ce pays fier.

L'argument et les désirs

C’est une histoire sans histoire, comme celle de nos vies. Une petite histoire sans bruit. Comme dans un rêve insolite, des tableaux défilent, des apparitions se succèdent… Pardonnez-moi de ne pas en dire plus, je ne veux pas tout déflorer. Mon souci ici n’est pas de raconter ce que le spectateur verra, mais de développer l’esprit qui m’anime depuis le début de cette pièce, voilà déjà trois ans.
Marier l’apparence à l’apparition, le visible à la magie intérieure, à la vérité cachée ; faire trembloter une âme, la lumière d’une âme blessée, la noblesse sous la meurtrissure, la poésie sous la souillure : voilà un peu de mon souci.

Dans un poème périphérique et inaugural, qui annonce un climat onirique et sacré, il est fait mention d’anges venus convoquer des saltimbanques afin de réveiller la vie et de la placer sous l’étoilement de l’imaginaire. Mais avant même cela, il est question d’une naissance, non pas de ce qu’on appelle naissance sur un simple plan biologique, mais d’une volonté de naître, d’exister comme une matière, d’apparaître en mouvement, en frémissement et en secousses, en mystère, comme un homme déjà né qui ne se contente pas d’être né, mais veut accoucher lui-même depuis le ventre de l’Univers.
A partir de là, se passe une mise en vie des choses, une féconde activation. Il y aura des mouvements « gratuits », la recherche d’un corps dans l’espace, qui ne sait pas ce qu’il vient faire mais sent simplement qu’il veut naître. J’aimerais montrer la vie qui s’ébroue, une naissance sous le ciel, la magie puissante et princière que cela peut devenir de naître, non pas en nouveau-né braillard, mais en homme qui cherche l’Homme, c’est à dire le dieu déchu, et qui ne trouve pas plus noble quête.
Et pour amorcer cette naissance, la Musique active les fils de la présence au monde.
La musique est le sourire des dieux.

N’allez pas croire que ce n’est qu’un rêve, une sorte d’exercice de style, sous prétexte que loin de certaines pièces à thèse et histoire, sortes de romans transcrits avec leur psychologie contemporaine geignarde et nombriliste, ici l’histoire c’est ce que l’on voit, et qui ramène chacun de nous à un plan personnel de vie, à un pan de sa biographie, par le biais de certaines hautes figures : anges, clowns et clochards, funambules et autres serveuses. Toutes ces figures de la vie sont de communes allégories, tombées sur moi depuis toujours et que chaque jour je côtoie dans mon magasin d’archétypes.
Ainsi cette pièce montre les hommes aux prises avec leur hantise : l’indigence et le dénuement, la vrillante misère sociale qui bientôt devient totale parce qu’elle emporte le cœur, et l’espérance et sent le rance. La pauvreté que l’on fuit, qui vous glisse le long du cœur, et qu’on refoule loin de soi, au caniveau de l’existence.
Elle suggère aussi le plaisir, rehaussé de l’attrait de l’insolite. Ce cabaret peuplé de gens qui vont tous par couples, sortes de figures gémellaires : l’on y boit comme l’on y songe, et l’on y boit surtout du songe. Les serveuses sont là aussi comme signe du désir naissant. Une furtive lascivité devrait émaner d’elles.
La pièce révèle aussi le danger, la noblesse frémissante du risque. Un funambule sur son fil, est-ce autre chose au bout du jeu que le mythe de l’élévation qui se joue de l’attraction terrestre, et la taquine en demi-dieu ? Amener l’attention de tous sur le filin idéal du péril, avec le vide sous les pieds, quand le risque est profond, envoûtant et même cruel. Et qui de nous à ses meilleures heures n’a pas rêvé à ce décrochage suprême d’avec la gravitation ?
Il y a en l’homme un oiseau captif, captivant et royal. Le poète le taquine, l’acteur l’incarne et le libère.

L’ancien et le nouveau

De la «pièce» originelle, qui montrait huit acteurs et une figurante, je dois donc évoquer présence.
Le mime sert donc différemment. Initialement chacun mimait sa partie, s’occupant assez peu des autres, sauf aux moments de retrouvailles. Ma présence seul sur la scène m’oblige à rendre compte du maximum.

J’ai inventé de nouvelles scènes, pour l’ouverture et le final.
L’apparition de ce long poème de 680 vers m’a contraint à modifier le jeu, et réciproquement le poème s’est laissé investir par le corps qui gagne sur lui. Une récitation d’un trait devenait désormais impossible, à cause de la bande son, du désir d’incarner le texte.
Outre les difficultés de ce jeu d’évocation mimée, la principale difficulté de mise en scène concerne la redite, la surcharge, bref cette redondance menaçante qui étouffe l’imaginaire du spectateur bombardé de signes. Je n’ai pas réglé le problème constamment, des passages entiers subsistent où la quadrature du cercle m’a obsédée puis quittée, parce qu’il n’y a pas de solution : Poème plus Jeu plus Musique, racontant la même « histoire ». Je me console en espérant que les spectateurs en difficulté choisiront parmi le trio un duo qui les tienne en regard, en écoute. Je suis également spectateur, et je sais que le théâtre requiert une attention totale. Un instant d’inattention et la pièce déboule sur vous, vomissant son flot de signes. Mais cette attention captive, je l’accepte et je la veux, parce qu’elle seule me grandit.
Et le Théâtre qui se mérite, il fait des spectateurs géants.

Quelques mots sur la théâtralité

La mise en scène originelle montrait des couples comme des figures emblématiques de l’appartenance à un même monde. Il y a résumé en couple le clan des artistes, celui des exclus, celui des gens de l’ombre, serviteurs du plaisir des autres, serveuses bien sûr mais surtout clowns. Clowns qui hantent notre affectivité, mangés du ver de solitude, et dont les cris de l’âme flambante se traduisent en rires mimés. Ils font rire pour ne pas pleurer, leur cœur est gros comme leurs manières. Et vraiment plus ils sont grotesques, plus leur âme est vaste et blessée.
Un clown est seul comme un bourreau qui vient décapiter le Mal.

Comme dans l’existence, ces gens se succèdent, se juxtaposent.
Comme dans le rêve, ils se rencontrent. Un vers dit qu’ils «se magnétisent, se font envie, et jouent de toutes les cadences.»
Le Théâtre est l’art suprême qui inaugure des unions. Je veux voir le théâtre sous l’angle de cette union sacrée où toutes les présences se rejoignent, même dans l’adversité, et où tous les arts fraternisent.
Un jour on découvrira toutes les phéromones que dégagent les acteurs sur scène, et qui les nouent et les attirent et activent les spectateurs, les débusquant de leur tanière. Et l’on mettra des mots de plus sur ce qu’on n’ose plus appeler charme, et sortilège et magie franche.

Le théâtre transfigure la vie, la place sous le signe de l’irradiation.
Le théâtre règne et unit, au cours d’instants inauguraux qui ouvrent la porte des cieux. Je veux dire que ces dieux qui nous abandonnent parce que nous les laissons filer de notre âme trop resserrée, le Théâtre lui les convoque, et nous en ramène les signes.
En politique l’on s’oppose, on bat le fer plus ou moins franchement pour défendre une vie mannequin, une vie surfaite, – une vie défaite.
Mais au théâtre l’on s’unit, pour faire apparaître la vie.
Les fausses forces toujours divisent. L’art vivant constamment unit.
D’ailleurs il n’y a pas d’art. Il n’y a qu’un cri que l’on promène, du murmure à l’épilepsie, devant cette nuit du monde, pour la lécher de notre feu et l’éclairer de notre étoile.
Qu’est-ce que le feu ? Le désir qui embrase la vie.
Qu’est-ce que l’étoile ? Mais c’est notre âme quand elle clignote.
Et le théâtre plus que tout parle à tous lorsqu’il est vrai. L’étrange densité d’un corps, ce poids de la vie que l’on sent ; la vérité nue d’un visage, activés par le jeu théâtral, nous renvoient en miroir tranchant la sensation de profondeur.
Je voudrais que lorsque l’on joue l’on fasse sentir les mouvements de certaine âme, les floraisons de la peau, les marées des humeurs secrètes qui lentement se désentravent.
Pardonnez-moi si jouant moi-même, je me sente parfois petit face à une telle ambition.
L’expressivité maintenant : Sur la palette des émotions, qui sont autant de purs pigments, l’acteur se fait le peintre vif, et la toile qu’il réalise n’est rien d’autre au bout du compte que la vivante sculpture du corps, prisonnier d’un espace restreint, la scène, mais qu’il investit et habite.
Les émotions offrent des peaux, des masques qu’à la vie on gomme. Sur la scène, il faut les travailler tel un tanneur, et les porter, les rendre forts.
Dans notre petit quotidien, les sentiments et émotions forts devraient prendre possession de nos visages en sculpteur entier et serein. Alors nous aurions moins besoin de mots, de discours et de paroles vides.
Nous avons perdu la magie évocatrice du mot, son pouvoir d’incantation, comme nous avons perdu le corps, l’imaginaire fertile du corps qui veut entrer en état de vie.
La poésie nous a quittés, et nos corps nous ont désertés.

Un poète est un dompteur, mais un dompteur comme à l’envers, qui ouvre grâce à des vocables la cage aux présences retenues.
Si je prononce vraiment un mot, je veux qu’il se dresse sur ses pattes, que le lion en lui rugisse, ou que le papillon l’effleure et que cette caresse vous frôle. Et que toute phrase même de prose lève son rideau d’images. Et que d’eux-mêmes ces mots s’envolent pour vos oreilles qui les accueillent, et où ils iront butiner.
Et de même que le poète active la langue, lui fait violence amour et rage pour éviter qu’elle ne s’endorme, l’acteur lui, titille sa sève, et tente d’entrer dans un corps et de la faire naître à la vie, chaque seconde sur la scène du sacre.
J’adresse mes mots comme des abeilles, je montre mon corps comme une offrande.
Essayez donc, si le corps vous chante. Vous verrez ce que cela coûte, comme aussi ce que ça promet.


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